Grands Taxis pour grands espaces
Dans un pays où presque personne ne peut se payer le luxe de disposer d'une voiture, la notion de transport en commun se conjugue à partir de n'importe quel véhicule.
A la campagne il n'est pas rare de voir trois personnes sur un seul âne, en ville trois personnes sur une seule mobylette!
Les transports en communs payants s'organisent autour des trains, des autobus, des grands et des petits taxis. Les trains, tout comme les autocars ayant le défaut de circuler à des horaires fixes (et pas toujours aux "bonnes heures" ni même à la "bonne heure") sur des lignes fixes, ils ne peuvent pas satisfaire tous ceux qui ont besoin de se déplacer dans les villages qu'ils s'agisse d'aller vers les souks hebdomadaires ou de se rendre en visite familiale.
En ville, dès qu'il faut aller à l'hôpital, dès qu'il faut se rendre dans une administration ou simplement dès qu'il faut joindre un point à l'autre "rapidement", le petit taxi est le moyen de transport en commun le plus simple. Transport en commun, le taxi ? Et oui... De manière courante, le chauffeur charge les passants qui lui demandent d'aller dans la même direction, tout au long de son trajet, jusqu'à "remplir" son véhicule. Trois personnes qui ne se connaissent pas peuvent voyager ensemble, acquittant chacune leur trajet "au compteur" ou... à l'amiable... suivant le bon vouloir du chauffeur.
Le grand taxi, lui, se trouve à la gare routière. Son fonctionnement est simple. Il peut charger six personnes (deux passagers à côté du chauffeur et quatre derrière) et il ne part que lorsqu'il a fait le plein de passagers. le prix de la course est ainsi partagé en six. Il peut déposer les voyageurs à l'endroit où ils ont BESOIN d'aller, prenant en route de nouveaux clients si l'occasion se présente. Le grand taxi ne roule jamais à vide. Il attend le temps qu'il faut pour se remplir avant de circuler. C'est un moyen de transport souple, sans horaire, sur n'importe quelle distance.
Nous étions huit durant ce voyage au Maroc. Huit personnes désirant, ensembles, aller visiter les mêmes lieux. Notre budget étant limité, il nous fallait trouver l'équilibre entre le mieux et le moins bien afin de ne pas faire exploser la tirelire. C'était aussi une excellent "obligation" que nous avions "programmée" afin de découvrir un peu mieux le pays et ses habitants.
Avec Fès comme point de départ, nous avions le projet d'aller visiter le site archéologique de Volubilis et de passer jeter un coup d'oeil sur la ville impériale de Meknès. Nous souhaitions aussi partir dans le moyen Atlas, voir les singes dans les cèdres, grimper sur les pistes de ski et visiter le village dans lequel nous avions habité. Les voitures de location était proposées à un prix accessible, mais les contraintes étaient multiples pour notre troupe vivant en médina, donc loin de la ville nouvelle et de ses voitures. Le grand taxi était le meilleur moyen de transport, il restait à en définir le coût.
Dar Gnaoua, proposait un taxi destiné aux touristes de passage. Nous l'avons contacté en priorité, certains de la qualité de ses prestations. Sans surprise, à huit, nous dépassions la fourchette des prix acceptables sans réussir à conclure un marché satisfaisant pour les deux parties. Il fallait donc se débrouiller autrement. Un après-midi, nous sommes donc partis, M et moi, vers la station des grands taxis afin de voir ce que nous pourrions négocier.
Imaginez la gare routière, devant une des portes les plus populaires de la vieille ville, en sortant d'un marché aux puces!
Le débarquement de deux touristes, genre retraités en vadrouille, ne fit pas long feu : nous fûmes instantanément assaillis par un groupe de taximen offrant à grand bruit des services mirobolants. Evidemment aucun ne parlait vraiment français. Le chef s'en est mêlé et le brouhaha se fit plus intense. M. Commença néanmoins a expliquer ce dont nous avions besoin puis à refuser aimablement les offres de prix fantaisistes. Nous avions en tête le prix de la location de deux voitures et le prix de la location de deux grands taxis touristiques avec "chauffeur parlant français". Nous étions donc fermes dans la négociation, tranquillement, calmement, prenant le temps de laisser le temps faire son office.
A nous deux, nous avons toujours bien réussi dans l'établissement d'une communication vivante. Je joue le rôle de la femme et lui, joue le rôle de l'homme et la rue devient théatre et la conversation devient un jeu, paisible, pour notre part sans enjeu : nous sommes toujours prêts à partir sans regret ni amertume, puisque nous n'avons rien à perdre.
Un conducteur plus téméraire accepta la somme que nous avions proposée, mais il voulait une avance en billet et pour cela, il avançait un mot :confiance.
La communication humaine est réellement un exercice étonnant. C'est parce qu'il parlait de confiance et de contrat que sa proposition était à mes yeux inacceptable, la confiance étant pour moi un "truc" qui se partage. A défaut, elle n'existe pas.
Comprenez bien que je parle arabe comme ils parlaient français : fort insuffisamment. Mais comme eux comprennent plutôt bien ce que nous racontons, je comprends plutôt pas mal ce qu'ils racontent. Dans ces circonstances, le moindre signal corporel, la moindre expression des sens est enregistrée et utilisée pour avancer plus loin ou abandonner...Dans ces circonstances, la communication est obligatoirement "vraie", le mensonge est impossible.
Nous savions déjà que la conclusion était en bonne voie, le jeune téméraire nous montrait "son" taxi, la plaque, le numéro et répétait le seul mot qu'il savait dire "confiance", nous montrant à l'appui des versets du Coran... en arabe, of course! Il continuait a exiger une avance. Le chef se fit fort de nous expliquer qu'il perdait son tour (le chef règne sur la gare et indique aux voyageurs les taxis en partance dans l'ordre de leur arrivée sur l'aire) du lendemain en nous acceptant comme clients et qu'il était normal qu'il souhaite "ne pas risquer de tout perdre". Nous pouvions comprendre. Mais, pas plus que lui, nous ne souhaitions "perdre" notre journée du lendemain. Les cartes étaient donc sincèrement et équitablement réparties.
Je cherchais les mots pour expliquer, que je ne voulais pas avancer l'argent. Il fallait qu'ils puissent comprendre et il fallait que ce soit "logique", sans mensonge, sans mauvaise foi. C'est alors que j'ai dit en français : "En fait, nous n'avons pas d'argent, maintenant, nous sommes venus pour discuter, nous n'avons pas pris d'argent!" . C'était vrai, nous étions venus pour voir, pour discuter et si nous avions de l'argent "de poche", nous ne l'avions pas prévu pour payer les taxis.
Alors, j'entendis derrière nous une voix qui traduisait mes propos en arabe à l'intention des taximen, du chef et du jeune téméraire. L'ambiance changea perceptiblement et immédiatement la conclusion arriva "C'est d'accord, je te donne mon numéro de téléphone, voilà" .
Je chuchotais dans l'oreille de M ce qui venait de se passer et afin d'établir un véritable contrat, je proposais que nous laissions, nous aussi, notre numéro de téléphone.
En presque 45 minutes, l'affaire était conclue pour la moitié du prix "touristique", grâce à un petit homme surgit de nulle part, sec, à l'oeil vif: مصطفى ! Ce prénom signifie "l'élu", "le préféré", en français, on l'écrit au choix Mostafa, Mustapha voire Mostapha, un peu comme ça nous arrange, en fait...
Pendant la journée suivante, il fut notre chauffeur en alternance avec le jeune téméraire qu'il avait entraîné dans l'aventure de la confiance simple. Circulant à huit, dans deux grands taxis réservés pour nous, nous changions de voiture au fil des étapes, au gré du désir des enfants. مصطفى s'exprimant dans un français minimaliste, mais suffisant, ceux qui étaient dans sa voiture pouvaient converser avec lui tandis que dans l'autre voiture c'était le silence.
A la fin de la journée, nous avons demandé à مصطفى s'il était disponible pour nous conduire dans la montagne le surlendemain. Sans que nous ayons à discuter, il accepta la course pour le prix exact que nous souhaitions proposer, c'est dire que le marché était sensé, restant "une bonne affaire" pour nous comme pour eux.
Voyager en grand taxi, en famille se revèle très confortable et très avantageux par rapport à une voiture de location : il est inutile de chercher une place de stationnement, il est inutile de discuter avec les gardiens de parking, on peut tout laisser dans la voiture sans crainte, on est libre de faire un circuit et de changer d'avis...
MAIS soyons clairs : la différence de tarif entre taxi "pour touristes" et taxi négocié sur la place publique est notable. L'état des voitures n'est pas le même, la conversation du chauffeur est différente. Il me parait impossible de demander à quiconque de faire ce pourquoi il n'est pas organisé et à chaque standing correspond un tarif. Plutôt que de s'acharner à "marchander" irrespectueusement ce qui ne peut pas l'être, il suffit d'aller négocier ce qui nous correspond.
Au bout de chaque démarche, il y a toujours de belles rencontres!
مصطفى fut un chauffeur lumineux. Nous avons gardé son numéro de téléphone... Inch'Allah... Si nous retournions à Fès...
:-)))